La cession du Crédit lyonnais
Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'Économie, des finances et de l'industrie, a défini la méthode de cession du Crédit lyonnais en vue de la mise en oeuvre de l'engagement de privatisation souscrit en 1995 et confirmé dans le cadre de la décision de la Commission européenne du 20 mai 1998. Cet article présente l'approche retenue pour mener à bien cette opération.
Cet article a été rédigé à partir du dossier de presse diffusé le 29 octobre 1998. Les éléments sont actualisés au 20 novembre 1998.
Arrêtée au terme d'un examen détaillé de toutes les options, la méthode de cession du Crédit lyonnais permet d'optimiser les objectifs du gouvernement visant à préserver les intérêts de l'État et des contribuables ainsi que de l'entreprise et de ses salariés. Elle consiste à mener l'opération en trois étapes : avant la fin de l'année 1998, apurement de la clause de retour à meilleure fortune et dénouement des liens résiduels du Crédit lyonnais avec son dispositif de cantonnement (1); au printemps 1999, lancement d'un appel d'offres puis constitution d'un groupe significatif "d'actionnaires partenaires", en partie par une augmentation de capital d'environ 8 MdF ; enfin, au premier semestre 1999, si les conditions de marché le permettent, lancement d'une offre publique de vente visant à ramener la participation de l'État au capital du Crédit lyonnais à 10 % au plus en octobre 1999. Parallèlement à cette dernière opération, une offre publique d'échange sera lancée sur les certificats d'investissement.
La stratégie de cession retenue
La stratégie de cession retenue combine l'appel au marché par offre publique de vente aux particuliers, aux investisseurs institutionnels et aux salariés, et la constitution d'un pôle d'actionnaires stables, le groupe des "actionnaires partenaires".
Cette méthode constitue la meilleure façon d'optimiser les intérêts de l'État, de l'entreprise et de ses salariés, conformément à l'objectif que s'est fixé le gouvernement.
Pour l'État, la cession du Crédit lyonnais s'inscrit dans le cadre de la stratégie définie par Dominique Strauss-Kahn dès la constitution du gouvernement et inspirée par la volonté de donner au Crédit lyonnais les moyens de retrouver l'équilibre financier nécessaire à sa viabilité puis à son développement.
Le Crédit lyonnais est en effet une des composantes essentielles du système bancaire français. Il était donc légitime de chercher à sauvegarder sa viabilité, ce qui a été fait en particulier lors de la négociation qui a abouti à la décision de la Commission européenne du 20 mai 1998.
Sa place dans notre marché domestique, avec plus de 6 % du total des dépôts et des crédits et le deuxième réseau AFB (Association française des banques) par le nombre de clients, ses compétences reconnues dans certains secteurs porteurs tels que l'assurance-vie, la gestion collective et la gestion privée, les systèmes de paiement ou les financements de projets et financements structurés, notamment aéronautiques, ses positions fortes dans les marchés d'actions en Europe et en Asie, donnent au Crédit Lyonnais la capacité de participer pleinement au marché bancaire dans l'Europe de l'euro.
Sa cession est ainsi l'occasion :
- de renforcer sa solidité financière et de lui donner les moyens de son développement, par une augmentation de capital ;
- de nouer des liens avec des actionnaires confiants dans la stratégie du Crédit Lyonnais et désireux de s'associer durablement à son développement à travers des accords de partenariat.
Cette méthode est conforme aux intérêts de l'État, car le Crédit lyonnais, tel qu'il a été redressé par sa direction et ses salariés avec l'aide et le soutien de son actionnaire principal, est une société attractive pour les investisseurs, particuliers et institutionnels, comme pour les candidats au groupe d'actionnaires partenaires.
Pour l'entreprise, cette méthode est celle qui lui permet de consolider dans les meilleures conditions le redressement opéré à tous les niveaux depuis plusieurs années. Le fil directeur de ce travail a été de reconstruire l'organisation, les méthodes et les outils pour assurer la viabilité du Crédit lyonnais dans ses grands métiers. La cession va conforter ces efforts au moment où ils commencent à porter leurs fruits (2).
C'est pourquoi le gouvernement constituera un groupe "d'actionnnaires partenaires" d'une taille significative, sans pour autant créer un bloc de contrôle. Cet actionnariat représentera donc moins du tiers du capital. Il sera formé en application des dispositions législatives et réglementaires françaises, et dans le respect des principes d'ouverture, de transparence et de non-discrimination posés par la décision de la Commission européenne du 20 mai 1998.
Pour les salariés du Crédit lyonnais, qui ont consenti des efforts importants pour leur entreprise, la méthode retenue donne l'assurance :
- que la viabilité et la capacité de développement du Crédit lyonnais seront préservées ;
- que les organisations représentatives seront régulièrement informées des étapes du processus ;
- que les salariés pourront s'associer à l'avenir de l'entreprise, grâce à un accès privilégié à une tranche de capital qui leur sera réservée.
Le calendrier
Avant la fin de l'année 1998, les liens résiduels entre la banque et son dispositif de cantonnement seront dénoués. La privatisation proprement dite interviendra au premier semestre 1999.
Les principales étapes de la procédure seront les suivantes :
Novembre 1998 : cession à l'Établissement public de financement et de restructuration (EPFR) des titres du Consortium de réalisation (CDR) détenus par le Crédit lyonnais, ce qui parachèvera la réforme du dispositif de cantonnement annoncée en décembre 1997 (voir le développement sur la séparation entre CDR et le Crédit lyonnais).
Décembre 1998 : apurement, dans le respect de l'intérêt patrimonial de l'État, de la clause de retour à meilleure fortune, par laquelle le Crédit lyonnais affecte une partie de ses bénéfices à la couverture des pertes de CDR (voir le développement sur le rachat de la clause de retour à meilleure fortune).
Début 1999 : lancement de la procédure de constitution d'un groupe d'actionnaires partenaires.
Mars 1999 : arrêté des comptes 1998 du Crédit lyonnais.
Printemps 1999 :
- augmentation de capital de l'ordre de 8 MdF souscrite par les actionnaires partenaires ;
- cession d'actions par l'État aux actionnaires partenaires qui, au total, détiendront in fine moins de la minorité de blocage dans le capital du Crédit lyonnais.
Premier semestre 1999 : si les conditions de marché le permettent, cession sur le marché par offre aux particuliers et aux investisseurs institutionnels, ainsi qu'aux salariés, du reste des actions, dans le but de ramener la participation de l'État à 10 % du capital.
Les principales composantes
La cession de la participation de l'État au capital du Crédit lyonnais comprendra plusieurs opérations, réalisées conformément aux dispositions de la loi du 6 août 1986 modifiée.
La constitution d'un groupe d'actionnaires partenaires constituera une cession hors marché au sens de l'article 4 alinéa 2 de la loi du 6 août 1986 modifiée.
La procédure suivie sera celle prévue par ce texte et le décret du 3 septembre 1993 : la cession donnera lieu à la publication au Journal officiel d'un cahier des charges soumis préalablement à la Commission des participations et des transferts ; les candidats disposeront alors d'un délai d'au moins quinze jours pour faire connaître leurs propositions de partenariat et leurs références financières ; le choix final sera effectué par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur avis conforme de la Commission des participations et des transferts.
L'opération de marché sera ouverte à la fois aux particuliers et aux investisseurs institutionnels. Elle permettra d'associer les épargnants au redressement du Crédit Lyonnais et à son développement futur.
Une tranche réservée aux salariés du Crédit lyonnais sera prévue. Elle représentera 10 % des titres cédés sur le marché, dans les conditions définies à l'article 11 de la loi du 6 août 1986 modifiée. À cette occasion, les salariés du Crédit lyonnais, qui ont beaucoup oeuvré pour son redressement, pourront être associés à la privatisation de leur entreprise.
La séparation entre le Consortium de réalisation et le Crédit lyonnais
Le Consortium de réalisation, auquel ont été transférés en 1995 certains actifs du Crédit lyonnais, avait été constitué initialement comme une filiale du Crédit Lyonnais. Cependant, la décision de la Commission européenne du 22 juillet 1995 et la loi du 28 novembre 1995(3) ont imposé une séparation de la gestion du CDR et du Crédit lyonnais.
Surtout, Dominique Strauss-Kahn a annoncé le 16 décembre 1997 une profonde réforme de l'organisation et du fonctionnement du dispositif de cantonnement qui, en contrepartie d'une totale responsabilisation accordée au CDR dans l'exercice de sa mission, a chargé l'EPFR d'exercer sur le CDR, "pour le compte de la puissance publique et dans le cadre de la mission générale qui lui est confiée par la loi, les prérogatives qui sont normalement celles de l'actionnaire". C'est dans ce cadre que l'EPFR devient l'actionnaire du CDR.
Ceci ne modifie en rien le fonctionnement et les objectifs du dispositif de cantonnement :
- le changement d'actionnaire étant sans incidence sur la portée pour le Crédit Lyonnais du cantonnement des actifs et des risques qui ont été transférés à sa défaisance avec la garantie de l'État, à travers l'EPFR ;
- la mission d'optimisation du résultat de la défaisance pour les finances publiques, telle qu'elle a été confiée en décembre 1997 par Dominique Strauss-Kahn aux dirigeants du CDR, Raymond H. Lévy et François Lemasson. La séparation du CDR du Crédit lyonnais et son rattachement à l'EPFR s'effectueront dans les conditions juridiques et financières suivantes :
- l'EPFR, établissement public à caractère administratif soumis aux règles de la comptabilité publique, ne pouvant devenir l'associé d'une société par actions simplifiée, le CDR sera préalablement transformé en société anonyme ;
- la cession s'effectuera pour la valeur comptable des actions CDR dans les livres du Crédit lyonnais, soit 15 MF ;
- conformément au droit du travail, le projet de séparation entre le CDR et le Crédit lyonnais a été soumis aux comités centraux d'entreprise du CDR et du Crédit lyonnais : ces deux instances ont été consultées respectivement les 8 et 22 octobre.
En termes de calendrier, la séparation entre le Crédit lyonnais et le CDR pourra s'effectuer dès que l'assemblée générale extraordinaire du CDR aura adopté les nouveaux statuts de société anonyme avant la fin de cette année.
Le rachat de la clause de retour à meilleure fortune
La clause de retour à meilleure fortune a été instituée en 1995 afin de faire participer le Crédit lyonnais, dans la mesure de ses capacités, à la couverture des pertes du CDR. Valable jusqu'en 2014, elle constitue un droit de l'EPFR sur les résultats bénéficiaires futurs du Crédit lyonnais, à hauteur de 34 % du résultat net part du groupe auxquels s'ajoutent 26 % de la part du résultat net excédant 4 % des fonds propres. Le taux de cette seconde tranche doit en outre être relevé afin de compenser la neutralisation, à partir de 2000, de l'écart de 15 % entre le taux du prêt du Crédit lyonnais à l'EPFR et le taux du marché monétaire.
Afin de pouvoir engager la cession du Crédit lyonnais dans de meilleures conditions, les autorités françaises ont obtenu, dans le cadre de la décision de la Commission européenne du 20 mai 1998, que la clause de retour à meilleure fortune puisse être apurée, dans des conditions permettant d'en préserver l'effet patrimonial pour l'État.
Conformément à ces principes, la clause de retour à meilleure fortune sera donc rachetée par le Crédit lyonnais et payée en actions à l'EPFR, de telle sorte que la valeur des actions reçues représente exactement la valeur estimée des flux auxquels la clause aurait donné droit à l'EPFR.
Cette opération prendra la forme d'un apport en nature : l'EPFR apportera au Crédit Lyonnais le droit incorporel qu'il détient sur lui et sera rémunéré, à due concurrence de la valeur de ce droit, par une émission d'actions nouvelles.
Le Crédit lyonnais se retrouvera ainsi propriétaire d'un droit à ses propres résultats, qui sera annulé par imputation sur la situation nette, ce qui permettra de compenser exactement le montant de l'augmentation de capital ayant rémunéré l'EPFR de son apport.
Au terme de cette opération :
- le montant des fonds propres du Crédit lyonnais sera inchangé ;
- la participation de l'EPFR au capital du Crédit lyonnais sera accrue (en échange de sa renonciation à son droit sur les résultats futurs), ce qui entraînera une dilution de la participation des actionnaires minoritaires au profit du secteur public, et accroîtra le produit que celui-ci tirera de son désengagement du capital du Crédit lyonnais.
Cette opération est entourée des garanties suivantes :
- conformément aux termes de la décision du 20 mai 1998, la valeur de la clause a été déterminée par un expert indépendant (le cabinet Arthur Andersen, désigné en août) et les conclusions de son rapport ont été approuvées par la Commission européenne le 18 novembre 1998 ;
- conformément aux dispositions légales en vigueur, la valeur de l'apport est établie sous le contrôle de commissaires aux apports, désignés par le président du tribunal de commerce de Paris (MM. Kling, Ledouble et Salustro, désignés en août) ;
- enfin, dans le souci de garantir la préservation des intérêts des différents ayants droit au capital du Crédit lyonnais, l'ensemble de l'opération fait l'objet d'une attestation d'équité (délivrée par le cabinet Arthur Andersen).
Cette opération, dont les termes ont été arrêtés par les conseils d'administration du Crédit lyonnais (le 19 novembre) et de l'EPFR (le 1er décembre), sera approuvée par une assemblée générale extraordinaire du Crédit lyonnais convoquée pour le 28 décembre 1998 ; sur la base d'une valeur de la clause de retour à meilleure fortune de 15,8 MdF, elle devrait conduire à l'émission, au profit de l'EPFR, de 122,8 millions d'actions nouvelles. La part du secteur public au capital du Crédit lyonnais passerait ainsi de 81,75 % à 89,76 %, et celle des porteurs de certificats d'investissement serait ramenée de 18,25 % à 10,24 %.
Par ailleurs, en contrepartie de l'apurement de la clause de retour à meilleure fortune, le Crédit lyonnais abandonnera à partir de 1999 ses déficits fiscaux reportables, conformément à l'exigence de la Commission européenne.
Le Crédit lyonnais : une stratégie clarifiée et des résultats redressés
La clarification de la stratégie
Le Crédit lyonnais, qu'une expansion insuffisamment maîtrisée avait conduit à la crise au début des années 90, a engagé un recentrage sur une stratégie lisible, cohérente et raisonnée.
Dans le cadre de la préparation du plan stratégique élaboré en liaison avec la direction de l'entreprise et adressé à la Commission européenne en juillet 1997, Dominique Strauss-Kahn a approuvé une stratégie qui s'articule autour de trois métiers afin de permettre au Crédit lyonnais de répondre aux exigences de la compétition mondiale :
- la banque des particuliers, des professionnels et des PME en France, grâce à son réseau d'implantations commerciales et à sa tradition d'accompagnement des PME ;
- la banque des grandes entreprises et des institutionnels dans le monde, grâce à sa présence sur les principales places financières mondiales et à ses compétences dans les financements structurés, les financements de projets ou les activités de marché ;
- la banque de la gestion d'actifs pour compte de tiers en France et dans le monde, grâce à ses positions en matière de gestion privée ou d'épargne collective.
Ces orientations n'ont pas été remises en cause par la décision du 20 mai 1998 de la Commission européenne, dont les autorités françaises ont obtenu qu'elle préserve les intérêts essentiels du Crédit lyonnais dans le réseau en France et les implantations stratégiques dans le monde.
En fin de compte, le Crédit lyonnais dispose donc d'une stratégie adaptée à ses moyens financiers et assise sur ses domaines d'excellence dans des activités rentables.
Le redressement des résultats
L'action menée par la direction et les équipes du Crédit lyonnais a permis de redresser les résultats de l'entreprise (voir tableau ci-dessous).
Les efforts de restructuration, qui ont accompagné le recentrage stratégique sur trois métiers principaux, ont bénéficié du développement d'une nouvelle culture d'entreprise, axée sur la notion de rentabilité et de contrôle des risques.
Le redressement des comptes du Crédit lyonnais se caractérise en particulier par :
- une forte hausse du résultat brut d'exploitation grâce au maintien du produit net bancaire, malgré la diminution de près de 15 % du périmètre du groupe, et à la baisse des frais généraux ;
- une meilleure maîtrise des risques, qui se traduit en forte réduction des provisions liées aux opérations courantes et que confirme la qualité du portefeuille de créances tant en France qu'en Europe et aux États-Unis ;
- une amélioration sensible de la rentabilité courante du groupe, qui lui a permis de couvrir de manière prudente et comparable à ses concurrents les engagements situés dans les zones actuellement affectées par la crise (Asie et Russie) ;
- une progression continue des ratios européen et international de solvabilité du groupe grâce au redressement des résultats et à la bonne maîtrise des engagements pondérés